Pénurie de médicaments : Une feuille de route qui ne mène nulle part !
24/07/2019
« Les Français sont de plus en plus confrontés aux pénuries de médicaments » : c'est ainsi que le Ministère des solidarités et de la santé introduit une feuille de route pour répondre à ces « inquiétudes ». Encore faudrait il préciser avec l'ANSM (1) qu'il s'agit de « médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), c'est à dire « de médicaments dont l'indisponibilité transitoire, totale ou partielle est susceptible d'entraîner un problème de santé publique (mise en jeu du pronostic vital, perte de chance importante pour les patients) ». Cette situation ne fait que s'aggraver depuis 2008 : 40 médicaments en rupture à l'époque ; pour atteindre 530 en 2017 !
« L'inquiétude » a notamment été relancée en 2019 devant les difficultés à se procurer un corticoïde : la prednisone (Cortancyl et génériques) et la prednisolone (Solupred et génériques) comme l'a signalé l'UFC Que choisir en mai 2019, rapportant une pétition de médecins.
Pourtant, ces corticoïdes synthétiques figurent dans la liste des médicaments essentiels de l'OMS (2) c'est à dire « des médicaments qui répondent aux besoins de santé prioritaires d'une population qui devraient être disponibles en permanence dans le cadre de systèmes de santé opérationnels, en quantité suffisante, avec une qualité assurée et à un prix abordable ». Ce sont en effet de puissants anti-inflammatoires, de première nécessité pour des situations graves.
Déjà, un rapport d'information sénatorial n° 737 (2017-2018) sur les pénuries de médicaments et de vaccins indique que ce phénomène « contribue ainsi à la déstabilisation de notre système de soins en même temps qu'il traduit une perte d'indépendance sanitaire préoccupante pour la France comme pour l'Europe. ». Les pénuries liées à des ruptures de stock découlent en grande partie de la fragilité croissante des chaînes de production pharmaceutiques. Or, notre réglementation qui a mis en place obligatoire des plans de gestion des pénuries pour certains MITM particulièrement vulnérables, n'a rien prévu lorsque les origines de la rupture interviennent en amont de la distribution du médicament. En effet, selon l'Agence européenne du médicament, 80% des matières actives à usage thérapeutique ne sont pas fabriquées dans les pays de l'Union européenne, mais en Inde ou en Asie et en Amérique (contre 20% il y a 30 ans) ; et près de 40% des médicaments finis proviennent de pays tiers. Selon le rapport parlementaire, « les ruptures d'approvisionnement résultent majoritairement de problèmes industriels (défauts de qualité, fragilité des équipements) et commerciaux (inadéquation de la production à la demande, arrêts de commercialisation) ». Or, la feuille de route ministérielle n'envisage d'agir qu'en aval, comme un meilleur partage de l'information des pénuries par un comité de pilotage national (COPIL), associant l'ensemble des acteurs concernés : :mais cette usine à gaz n'a aucun moyen d'agir sur les causes résultant de choix industriels et commerciaux !
La feuille de route "passe la patate chaude" au niveau européen où la sauvegarde de la santé publique ne doit pas entraver le développement de l'industrie pharmaceutique (directive 2004/27/CE) . Et, en attendant, les moyens considérables consacrés au lobbying pharmaceutique pourront y bloquer toute tentative d'intervention sur le profit des firmes. Ces professionnels de l'influence aux moyens considérables, comme le relève l'association Corporate Europe Observatory (CEO), se basant sur les déclarations volontaires des firmes au niveau européen, qui indique que les 10 industriels les plus dépensiers y ont consacré annuellement entre 14,6 et 16,3 millions d'euros en lobbying.
Le sénat suggère donc de « recréer les conditions d'une production pharmaceutique de proximité » tout en soulignant qu' « il est par ailleurs impératif de mobiliser davantage l'éthique et la responsabilité des entreprises pharmaceutiques. » : une éthique dans les affaires mondialisées ?
La demande de France Assos Santé de juillet 2019 indiquant qu'une « obligation d'approvisionnement continu et approprié du marché français imposée aux industriels soit assortie de sanctions financières et que les dysfonctionnements avérés soient sanctionnés notamment financièrement à la hauteur du préjudice subi par les malades » restera longtemps un vœu pieux....
JPP juillet 2019
(1) ANSM : Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des produits de santé
(2) OMS : Organisation Mondiale de la Santé