Halte à l’instrumentalisation de la crise agricole !
06/02/2024
Billet de la présidente : Halte à l’instrumentalisation de la crise agricole ! Surenchères de la FNSEA pour démanteler les réglementations sur l’eau et les pesticides !
Alors que la révolte paysanne gronde, les syndicats agricoles multiplient les demandes au Gouvernement. Certaines de ces revendications sont portées de longue date par l’UFC-Que Choisir, telles que l’application de la Loi Egalim pour obtenir des prix rémunérateurs en rapport avec les coûts de production agricole ou encore l’abandon des accords bilatéraux (Mercosur, Nouvelle Zélande) qui ouvrent toutes grandes les portes du marché français à des produits alimentaires ne respectant pas nos normes sanitaires et environnementales.
En revanche, d’autres exigences, soutenues plus particulièrement voire spécifiquement par la FNSEA, sont proprement scandaleuses. Dans un document appelé "Retrouver la liberté d’entreprendre" (1) on trouve un florilège de demandes parfaitement inadmissibles, comme par exemple l’abandon pur et simple des zones de non-traitement des pesticides à proximité des habitations (la liberté d’asperger les riverains, je suppose), un moratoire sur l’interdiction des pesticides jugés dangereux (c’est-à-dire la liberté de polluer avec des substances hautement toxiques) ou encore l’accélération de constructions des stockages d’eau (la liberté de faire main basse sur une ressource en voie de raréfaction !).
Ces demandes sont d’autant moins légitimes qu’elles ne font pas partie des griefs exprimés par la base. D’ailleurs, la construction des bassines ne bénéficierait qu’à une très faible minorité d’exploitations, l’irrigation n’étant pratiquée que sur 5 % de la surface agricole française. On voit bien qu’il s’agit d’une revendication catégorielle émanant d’une fraction d’agriculteurs cherchant à surfer sur la vague de mécontentement. Quant aux pollutions en pesticides, je voudrais rappeler à Arnaud ROUSSEAU, Président de la FNSEA, que près d’un demi-million de consommateurs français boivent une eau contaminée au-delà des limites définies par la réglementation européenne et ce malgré la coûteuse dépollution - au bas mot un milliard d’euros par an - intégralement payée par les consommateurs ! Je tiens également à lui rappeler que ce coût, déjà considérable, sera encore amené à augmenter fortement dans les prochaines années, du fait des nouveaux pesticides particulièrement toxiques (métolachlore, chlorothalonil…) que les agences régionales de santé découvrent de plus en plus régulièrement dans les prélèvements d’eaux soi-disant "potables".
Mais face aux surenchères poujadistes de certains tribuns, je voudrais attirer l’attention sur les propositions de bons sens qui viennent d’être formulées par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les pesticides, alors que les alertes scientifiques s’accumulent sur le lien entre ces produits phytosanitaires et de nombreuses maladies : Parkinson, Alzheimer, certains cancers chez l’adulte, leucémies, tumeurs du système nerveux et troubles dubdéveloppement chez l’enfant. Les députés se sont penchés sur les causes de l’échec de la France à diminuer leur utilisation, malgré un cadre réglementaire pléthorique et une accumulation d’initiatives officielles.
Rappelez-vous, en 2008 Nicolas Sarkozy lançait le plan Ecophyto ambitionnant de diviser par deux l’usage des pesticides à l’horizon 2018 ! Seize ans plus tard et après trois autres plans officiels, dont le dernier recule l’objectif à 2030, l’échec est total. Les pesticides ont désormais contaminé tout l’environnement et pas moins de 4 300 captages pour la fabrication d’eau potable ont dû être fermés entre 1980 et 2019 pour cause de pollution ! Pire, si rien n’est fait les fermetures risquent encore de s’accélérer, alors que la baisse des précipitations due au changement climatique fera inexorablement monter les concentrations en pesticides.
Heureusement des solutions existent à tous ces maux : notamment un renforcement des procédures d’autorisation des pesticides, le développement des politiques publiques en faveur de la transition écologique ou encore une surveillance plus fine des pollutions, solutions qui figurent toutes parmi les recommandations de la Commission d’enquête. S’agissant des sources d’eau potable, je n’ai pas boudé mon plaisir en voyant que les députés ont repris les demandes formulées par l’UFC-Que Choisir, notamment la généralisation et le renforcement des mesures de protection des captages, pour qu’enfin l’activité agricole soit compatible avec une eau véritablement potable et indemne de pollutions.
J’attends en conséquence du Premier ministre que dans le cadre de son discours de politique générale prononcé cet après-midi à l’Assemblée nationale et des mesures complémentaires pour l’agriculture qu’il doit annoncer, qu’il (re)lise ce rapport des députés et qu’il prenne à son compte ces propositions, plutôt que celles de la FNSEA.
Notes : (1) Synthèse des revendications - Retrouver une liberté d’entreprendre - FNSEA / JA - 24/01/2024
Marie-Amandine Stévenin Présidente de l'UFC-Que Choisir