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Un peu d’histoire : Le délit de tromperie en matière alimentaire !

26/06/2017

Notre association s’est portée partie civile dans le cadre du procès dit des « steacks hachés Liddl ». En 2011, dix huit personnes, essentiellement des enfants, ont été contaminées par une souche particulièrement nocive de la bactérie escherichia coli, ce par suite de la seule ingestion de « steacks country » (V° sur notre site « E.coli : Entretien avec Robert Brehon de l’UFC Que Choisir de Lille »). Au-delà de la responsabilité pénale des prévenus, ce procès est également l’occasion d’interroger l’Histoire de notre Droit en matière de tromperie alimentaire...

Au cours du XIXème siècle, l’avènement d’un libéralisme économique anarchique et sauvage avait pour effet d’autoriser n’importe qui à offrir n’importe quoi sur le marché. Il incombait alors aux acheteurs de distinguer les bonnes denrées alimentaires des mauvaises ou, plus exactement, les honnêtes commerçants des véritables crapules. Or, n’en déplaise à Adam Smith, aucune « main invisible » n’a jamais guidé aucun acheteur dans un tel exercice ... À une époque où le transport et la conservation des denrées était

sans rapport avec nos techniques contemporaines, il n’était pas rare de subir de graves intoxications et autres infections. Pourtant, l’article 423 du Code de pénal de 1810 disposait que « quiconque aura trompé l’acheteur […] sur la nature de toutes marchandises […] sera puni de l’emprisonnement pendant trois mois au moins, un an au plus, et d’une amende […] ». De même, l’article 318 réprimait la falsification et s’appliquait aux boissons contenant des substances nuisibles pour la santé. Quant aux articles 475 et 477, ils réprimaient l’exposition comme la mise en vente de « comestibles gâtés ». Au plan politique, ces textes attestent que la répression de la tromperie était une préoccupation du 1er Empire. Toutefois, au plan juridique, les historiens du Droit révèlent que ces dispositions n’ont fait l’objet que de peu d’applications. Dès lors, la protection offerte par le code pénal de 1810 était, en réalité, largement ineffective, comme quasiement symbolique. (Calais-Auloy, Temple, Droit de la consommation, Paris : Dalloz, Précis, 9ème éd., 2015, n° 208).

Les lois des 27 mai 1851 et 5 mai 1855 ont tenté de combler cette lacune. Toutefois, ces textes présentaient l’inconvénient majeur de ne viser que certaines denrées particulières et, ce faisant, laissaient un très grand nombre de produits en dehors du champ de la loi.

En conséquence, il n’existait pas, à proprement parler, de répression générale de la tromperie en matière alimentaire (PIGASSOU, AMBROISE-CASTÉROT, V° Fraudes, in : Rép. com. 2012, n° 5 et s.). 

Ce sont les commerçants et agriculteurs (et non les associations de consommateurs qui rappelons-le, n’existaient pas à l’époque) qui réclameront le durcissement de la pénalisation de la tromperie. Il faut dire que ces pratiques constituaient des actes de concurrences déloyales au préjudice de ces derniers. C’est donc, au plan historique, un objectif exclusivement économique et concurrentiel qui a présidé au vote de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications. Conçue dans un souci de protection de l’honnête commerçant contre le fraudeur, l’utilisation de ce texte a très progressivement migré vers le protection de ceux qui, des années après, seront connus sous le nom de « consommateurs ». D’ailleurs, à la toute fin du XXème siècle, ce texte sera intégré dans un code jusque-là ignoré de notre Droit : le code de la consommation.

Le délit de tromperie a fait l’objet de quatre réformes entre 1993 et 2016. En vérité, les éléments de cette infraction n’ont subi que de légères modifications. Hier comme aujourd’hui, il est notamment interdit de tromper ou de tenter de tromper le consommateur sur les contrôles effectués sur les denrées alimentaires, sur leurs risques, leurs compositions ou leurs qualités substantielles (C. cons. Art. L. 441-1). En revanche, les peines encourues par les personnes reconnues coupables de ce délit se sont considérablement durcies. En 1993, la peine était un emprisonnement de trois mois au moins, deux ans au plus, et d’une amende de 1 000 francs au moins, 250 000 francs au plus ou bien - nous précisait la loi – … de l’une de ces deux peines seulement !

Aujourd’hui, les personnes physiques reconnues coupables de ce délit encourent une peine de cinq ans d’emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu’à 600 000 euros. Quant aux personnes morales, elles encourent une amende pouvant aller jusqu’à 1 800 000 euros.

Au plan politique, le durcissement de la répression de la tromperie ne doit pas surprendre.

Le progrès des connaissances scientifiques et des techniques de conservation permettent, aujourd’hui, de mesurer pertinemment les risques inhérents à l’ingestion d’un aliment. Surtout, l’objectif politique initial – la loyauté dans les relations commerciales – est aujourd’hui concurrencé par un objectif de santé publique. Dès lors, notre Droit ne peut plus incriminer la tromperie sur les risques alimentaires à la manière d’une petite négligence entre commerçants. Là où le trompeur d’hier ne troublait qu’un ordre public économique, le trompeur d’aujourd’hui trouble également ce qu’il convient de qualifier d’ordre public sanitaire (RENARD, L’ordre public sanitaire, thèse dactyl. 2008). Dès lors, ce fait mérite d’encourir une peine plus importante.

Au plan juridique, le durcissement de la répression de la tromperie s’est indéniablement manifesté dans les juridictions. Si les dispositions du code pénal de 1810 faisaient l’objet de peu d’applications (cf supra), il n’en va pas de même de celles de l’actuel code de la consommation qui, sous l’article L. 441-1, mentionne un nombre considérable de décisions rendues en matière alimentaire.

L’Histoire de notre Droit est riche d’enseignements. Toutes ses réformes, toutes ces décisions, y compris celle qui sera rendue dans le cadre du procès dit des « steacks hachés Liddl », montrent que le durcissement des peines n’a pas eu un effet dissuasif.

D’ailleurs, la Criminologie comme la Sociologie Juridique montrent qu’il serait parfaitement illusoire de croire qu’une incrimination pénale puisse suffire à éradiquer un trouble à l’ordre public (DOOB, WEBSTER, « Sentence Severity and Crime : Accepting the Null Hypothesis », in : Crime and Justice : A review research, University of Chicago Press, 2003). Hier comme aujourd’hui, le risque alimentaire existe. Alors que faire ?

Il conviendrait, peut-être, de s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire aux obligations de sécurité en matière alimentaire. Il ne s’agirait pas de sombrer dans  de la surenchère pénale en augmentant la peine encourue au titre du délit de tromperie.

Un Avocat général près la Cour de cassation n’a-t-il pas écrit que « nous ignorons à peu près tout de l’effet dissuasif des peines et, par là-même, de leur efficacité » (PICCA, La criminologie, PUF, 2009) ?

Il s’agirait, en amont, de maintenir cette incrimination tout en durcissant, en aval, les règlementations et contrôles ayant trait aux procédures sanitaires. Ainsi serait affirmée et réalisée la volonté politique de faire définitivement basculer le délit de tromperie du terrain économique dont il a émergé vers celui de la seule santé publique. Mais à l’heure où les perturbateurs endocriniens font l’objet d’un véritable lobby européen (HOREL, « Perturbateurs endocriniens : le cadeau discret mais majeur au lobby des pesticides », Le Monde Planète, 20 déc. 2016), à l’heure où l’industrie agroalimentaire est vent-debout contre l'étiquetage nutritionnel (« Un logo très cash », Le Canard Enchainé, 21 sept 2016), cette ambition fait figure d’utopie.

Mais, comme le disait l’homme politique et académicien Édouard Herriot, l’utopie est une réalité en puissance...

Antoine DELATTRE
Juriste Bénévole à l’UFC Que Choisir de Lille
Chargé d’enseignement en Droit de la consommation à l’Université de Lille II

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